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Arthur Rimbaud (1854 – 1891) : Le bateau ivre : analyse, mis sur mon blog le 07 11 2018

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Le bateau ivre : analyse

 

Dans sa lettre du 15 mai 1871 à Paul Demeny, Rimbaud exposait son programme poétique : "Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant. Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens". Ainsi, "il arrive à l'inconnu, et quand, affolé, il finirait par perdre l'intelligence de ses visions, il les a vues". Le Bateau ivre, écrit la même année, apparaît donc comme la transposition allégorique de ce programme.

Les cinq premières strophes racontent comment un bateau rompt ses amarres : c'est le poète rompant avec les normes de la poésie, les conventions de la morale et l'idéologie dominante de la société.

 Les strophes 6 à 17 évoquent les aventures maritimes étourdissantes de l'épave à la dérive : c'est le poète arrivant "à l'inconnu".

Enfin, les strophes 18 à 25 disent l'épuisement du poète et sa nostalgie du vieux monde : c'est le moment où, "affolé", le "voyant" doit se résigner et abandonner ses visions avec la consolation de les avoir vues. "Le Bateau ivre, comme tant de poèmes de Rimbaud, est la victoire de la lucidité sur un premier élan d'espoir" a dit un critique 
      L'écriture du poème est elle-même conçue comme une illustration du "dérèglement de tous les sens".

Rimbaud s'appuie sur un canevas réaliste relativement simple, une série de tableaux de mer inspirés par ses lectures (il n'avait, à 17 ans, jamais vu la mer) : reflets du soleil à la surface des eaux (strophes 6 et 7), accidents atmosphériques (strophe 8), coucher du soleil (strophe 9), la nuit et l'aube sur l'océan (strophe 10), etc.

Le Bateau ivre nous entraîne dans un ballet aux changements de décor étourdissants. Les déplacements de la césure et la surprise des enjambements impriment au poème l'allure titubante qui convient à son sens. Sous l'effet de l'irréalisme brutal des images, le spectacle tourne au fantastique.

La mer devient symbole de l'Inconnu. Le naufrage est décrit comme la plongée voluptueuse dans un monde édénique, où le poète peut enfin habiter "dans la plénitude du grand songe", comme il dit dans une lettre de 1871 .Toutes les ressources du langage poétique sont mises à contribution pour nous entraîner dans cette fête des sens et lui donner l'impression du nouveau : rythmes, jeux de sonorités, couleurs crues, associations de mots inattendues, mots rares ou inventés, effets synesthésiques, métaphores insolites. 

     Cette allégorie de la révolte qu'est le "Bateau ivre" fonctionne simultanément sur le plan psychologique (rupture avec la docilité et la naïveté de l'enfance), littéraire (invention d'une poésie nouvelle) et politique (rupture avec le Vieux Monde, symbolisé par « l’Europe aux anciens parapets »).

Sous ce dernier aspect, le poème de l'été 1871 qu'est le "Bateau ivre" peut être considéré comme un tombeau de la Commune.

Le poète suggère cette hypothèse en plaçant à un endroit stratégique, à l'extrême fin de son texte, une évocation des "yeux horribles des pontons".

On sait en effet qu'au lendemain de la semaine sanglante (21-28 mai 1871), ceux qui n’avaient pas été fusillés par les Versaillais furent entassés dans ces prisons flottantes qu’étaient les "pontons".

En terminant son texte sur cette allusion très politique, Rimbaud ne laisse aucun doute sur sa volonté d’en éclairer le texte tout entier. Le bateau, dont le vers 41 nous dit qu’il a « suivi, des mois pleins, […] la houle à l’assaut des récifs », représente bien ce jeune communard que fut Rimbaud, spectateur probablement passif (verbe « suivre ») mais enthousiaste de l’épisode révolutionnaire, lequel épisode révolutionnaire trouve sa métaphore dans l'océan furieux.

 

Mis sur mon blog le 07 11 2018



07/11/2018
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