Georges Fourest (1867 – 1945) : Phèdre, un poème assez spécial, mis sur le blog le 20 06 2018
Phèdre
Dans un fauteuil doré, Phèdre tremblante et blême,
Dit des vers où d’abord personne n’entend rien.
"Le duc de Nevers."
Dans un fauteuil en bois de cèdre
(à moins qu’il ne soit d’acajou),
en chemise, madame Phèdre,
fait des mines de sapajou.
Tandis que sa nourrice Oenone
qui jadis eut de si bon lait
se compose un maintien de nonne
et marmonne son chapelet,
elle fait venir Hippolyte,
fils de l’amazone et de son
époux, un jeune homme d’élite,
et lui dit : « Mon très cher garçon,
« dès longtemps, d’humeur vagabonde,
monsieur votre père est parti ;
on dit qu’il est dans l’autre monde ;
il faut en prendre son parti !
« Sans doute un marron sur la trogne
lui fit passer le goût du pain ;
requiescat ! il fut ivrogne,
coureur et poseur de lapin ;
« oublier cet époux volage
ne sera pas un gros péché !
Donnez-moi votre pucelage
et vous n’en serez pas fâché !
« Vois-tu ma nourrice fidèle
qu’on prendrait pour un vieux tableau ?
elle nous tiendra la chandelle
et nous fera bouillir de l’eau !
« Viens, mon chéri, viens faire ensemble
dans mon lit nos petits dodos !
Hein ! petit cochon, que t’en semble,
du jeu de la bête à deux dos ? »
À cette tirade insolite,
ouvrant de gros yeux étonnés,
comme un bon jeune homme Hippolyte
répondit, les doigts dans le nez :
« Or çà ! belle-maman, j’espère
que vous blaguez, en ce moment !
Moi, je veux honorer mon père
afin de vivre longuement ;
« à la cour brillante et sonore
il est vrai que j’ai peu vécu ;
mais je doute qu’un fils honore
son père en le faisant cocu !
« Vos discours, femelle trop mûre,
dégoûterais la Putiphar !
Prenez un gramme de bromure
avec un peu de nénuphar !... »
Sur quoi, faisant la révérence,
les bras en anses de panier,
il laisse la dame plus rance
que du beurre de l’an dernier.
« Eh ! va donc, puceau phénomène !
Va donc, châtré, va donc, salop,
Va donc, lopaille à Théramène !
Eh ! va donc t’amuser, Charlot !... »
Comme elle bave de la sorte
de fureur et de rut, voilà
qu’un esclave frappe à sa porte :
« Madame, votre époux est là !
« Théseus, c’est Théseus ! il arrive !
C’est lui-même : il monte à grands pas ! »
Venait-il de Quimper, de Brive,
d’Honolulu ! je ne sais pas,
mais il entre, embrasse sa femme,
la rembrasse en mari galant ;
aussitôt la carogne infâme
pleurniche, puis d’un ton dolent :
« Monsieur, votre fils Hippolyte,
avec tous ces grands airs bigots,
et ses mines de carmélite,
est bien le roi des saligots !
« Plus de vingt fois, sous la chemise
le salop m’a pincé le cul
et, passant la blague permise,
volontiers vous eût fait cocu :
« il ardait comme trente Suisses,
et (rendez grâce à ma vertu)
si je n’avais serré les cuisses,
Votre honneur était bien foutu !... »
Phèdre sait compter une fable
(tout un chacun le reconnaît)
son discours parut vraisemblable
si bien que le pauvre benêt
de Théseus promis à Neptune
un cierge (mais chicodondard !)
un gros cierge d’au moins une thune
pour exterminer ce pendard !
Pauvre Hippolyte ! Un marin monstre
le trouvant dodu le mangea,
puis le digéra, ce qui monstre
(mais on le savait bien déjà!)
qu’on peut suivre, ô bon pédagogue,
avec soin le commandement
quatrième du décalogue
sans vivre pour ça longuement !
Mis sur mon blog le 20 06 2018
A découvrir aussi
- Aurore de Roquefeuil: un de ses poèmes que j'aime: vagues
- Philippe d’Orsay (1936 - ) : poème "Ce qu'il en reste" 26 11 2012
- Charles GUÉRIN (1873 – 1907): poème triste " Le vent est doux comme une main de femme " 24 03 2013
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 71 autres membres